Chronique d'un accompagnement

Après PP2: la vie qui rattrape et la découverte des qualités d’un emploi de vendeuse

juin 18, 2020

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Après PP2: la vie qui rattrape et la découverte des qualités d’un emploi de vendeuse

Une sérénité retrouvée

Lors de ce second entretien Chiara paraît bien plus sereine que lors de notre première rencontre une année auparavant. Elle nous a donné rendez-vous dans un café proche de son nouveau lieu de travail. Elle a trouvé un emploi de vendeuse dans le domaine de la confection qu’elle apprécie et semble très affirmée à l’égard de sa décision il y a trois mois d’arrêter la recherche d’une formation.

En fait, j’en ai eu trop trop marre et je pense que c’est la vie qui m’a rattrapée. Parce que ça fait un moment, ça fait 5 ans que j’ai mon appart. J’ai des factures à payer. Je n’ai pas énormément de personnes autour de moi qui peuvent m’aider financièrement. Je suis quelqu’un qui ne supporte pas d’être aidée par l’Etat. Il y a des gens ils le supportent très bien. Moi j’ai beaucoup de mal à donner des preuves tous les mois. C’est quelque chose que je n’arrive plus à faire. C’est une problématique que j’avais partagée avec ma travailleuse sociale de BAB-VIA en disant : voilà c’est quelque chose que j’ai vraiment envie d’enlever.
Chiara

Chiara revient de manière très claire sur la difficulté d’envisager une formation hors de la temporalité dévolue aux études. A 25 ans, Elle exprime avec beaucoup d’acuité la difficulté d’être en formation lorsque, comme elle, on a pris son indépendance et que les liens familiaux ne peuvent permettre de subvenir aux besoins de base.

A Genève, en l’absence de bourses d’études similaires à celles du dispositif vaudois FORJAD, seul le recours à l’aide sociale est possible.  

Une voie qui était bien étroite

L’absence de dispositif de soutien financier à la reprise de formation doublée d’une ferme volonté de sortir de l’aide sociale ne laissait que peu de choix à Chiara. L’unique voie possible impliquait le passage par une école du soir tout en travaillant la journée. Cette voie est bien étroite quand on a comme Chiara un parcours scolaire parsemé d’échecs.

Le dernier bilan de la travailleuse sociale témoigne d’une forme de désarroi face à cette situation paradoxale.

Il y a d’un côté les regrets que Chiara soit contrainte d’abandonner ses projets de formation, mais de l’autre toute la conscience des déterminismes qui pèsent sur sa situation et de son aspiration profonde à être autonome.

Août 2019 : dernier bilan
C’est un peu dommage qu’elle laisse tomber ses projets de formation, elle ne se sent pas l’énergie de reprendre le milieu scolaire, beaucoup de blessures liées à ses échecs et difficultés passés. A 25 ans elle a besoin de stabilité et souhaite avoir comme elle dit : « un job, un appart, un copain une vie comme tout le monde et ne plus se stresser avec l’école sans avoir de thunes…. »
Travailleuse sociale
Avancer, mais dans une autre direction en abandonnant ses rêves

Cette tension liée à la situation paradoxale de Chiara représente sans doute l’axe principal qui a traversé l’accompagnement de la jeune femme par BAB-VIA. Les efforts entrepris de part et d’autre ont conduit Chiara à avancer, mais pas dans la direction prévue initialement.

Je faisais une fixation sur les métiers du social et je me disais : si je travaille dans le social, c’est vraiment l’étiquette un peu que t’as dans la société : c’est bien. Et je faisais une fixation là-dessus et je ne peux pas faire autre chose que ça parce que je suis bonne dans ça et puis que c’est bien vu que d’être dans le social, et en fait non. Je suis sortie de cela et ça m’a fait beaucoup de bien.
Chiara

Si cette année de stage a permis à Chiara, de prendre réellement conscience des contraintes liées à sa situation et au prix à payer que constituait la reprise d’une formation, elle lui a aussi permis d’interroger ce qu’elle qualifie elle-même de « fixation sur les métiers du social ».

Des métiers du social qui représentaient à ses yeux l’idéal d’une position professionnelle reconnue socialement.

Les qualités d’un emploi de vendeuse

Ces réflexions de Chiara constituent un moment-clé de l’entretien que nous avons avec elle. Tout en nous expliquant qu’elle vient d’abandonner ses rêves de promotion sociale, elle paraît soulagée, presque sereine. Elle qui dans le même temps exprime avec enthousiasme sa surprise d’avoir découvert les qualités d’un emploi de vendeuse.

En fait, en travaillant dans la vente, je n’aurais pas pensé, j’avais beaucoup de préjugés là-dessus. Et pas du tout, je suis vraiment avec des gens hyper pédagogues, hyper à l’écoute. Et j’existe, en fait. J’ai une place importante, je suis égale à mes collègues, je ne me sens pas moins importante qu’elles. J’ai des responsabilités et pour moi ça c’est important aussi. Le sentiment de se sentir exister. Ça, je ne l’avais pas avant en tant que stagiaire.
Chiara

Alors que la voie qui conduisait vers le social la contraignait d’occuper des places de stagiaire, ce nouvel emploi lui donne, selon elle, une véritable place, la possibilité d’exercer des responsabilités, dans un environnement professionnel qu’elle considère comme bienveillant.

Une confiance en soi restaurée

Entre la bienveillance témoignée par sa travailleuse sociale et la bienveillance de sa nouvelle équipe de travail, Chiara insiste sur la bienveillance retrouvée à l’égard d’elle-même. En revenant sur l’année écoulée, Chiara l’exprime sans détour : elle va mieux.

J’ai beaucoup plus de bienveillance envers moi-même et je suis un peu plus confiante sur mes choix de vie.

Socialement parlant, je me suis redécouvert des amis. Avant j’avais beaucoup de cercles d’amis, après j’ai eu ce moment où j’étais très seule et là c’est plus je vois des amis chacun de leur côté. Je suis moins isolée oui. Mais j’apprécie aussi beaucoup plus ma solitude. Avant, j’avais beaucoup de mal
Chiara

Dès lors, si l’objectif fixé avec BAB-VIA de reprendre une formation n’a pas été atteint, le renforcement de sa confiance en elle-même constitue pour Chiara le bénéfice majeur de ce cheminement qui lui permet aussi de remettre en mouvement sa vie sociale et la construction d’affinités électives.

Une fragilité financière qui perdure
Ma situation financière est quand même assez vulnérable, elle est mieux, mais elle est vulnérable. Parce que je ne fais pas un métier où je gagne énormément et je suis vraiment juste juste.
Chiara

La stabilité émotionnelle et sociale retrouvée ne gomme pas pour autant complètement la précarité de la situation financière de Chiara.

L’université « populaire » ou la formation par le travail

Au terme de notre entretien et de son parcours à BAB-VIA, Chiara va porter un regard d’une acuité très nette sur son choix, un regard qui lui permet d’interroger avec grande pertinence l’évolution des enjeux liés à l’insertion professionnelle dans le contexte genevois actuel.

Alors que sous l’impulsion du mouvement de démocratisation des études doublé de la pression des exigences requises sur le marché de l’emploi 80 % des jeunes obtiennent un diplôme de secondaire II, la perspective d’une entrée directe sans certification sur le marché de l’emploi dans une perspective épanouissante et formatrice est-elle encore possible ?

C’est le pari qu’elle a décidé de prendre.

Il y a un truc que j’ai compris. Quand il y a des portes qui se ferment il y en a d’autres qui s’ouvrent. En tant que vendeuse, pourquoi pas acquérir de l’expérience pour que ça m’ouvre des portes, des formations, que je puisse progresser dans la hiérarchie du magasin. C’est un peu comme l’université populaire. Je ne me dis pas je me lève le matin, je vais aller travailler, je me dis je suis en formation, je vais me former, quoi : au travail… Un peu ce que nos parents faisaient et aujourd’hui ça ne suffit plus trop… Mais j’essaie de me le dire quand même. Je me dis ça existe encore, c’est possible. Ce n’est pas complètement fermé.
Chiara