Chiara, poursuivre sa prise d’indépendance
Assumer son indépendance sans aucun diplôme
Entre les mots de Chiara
et le journal de la travailleuse sociale
J’ai téléphoné à la BAB parce que j’étais ultra désespérée parce que ça fait un moment que je recherche un apprentissage. Un ami m’avait dit : «appelle la BAB, explique ta situation et peut-être qu’ils vont trouver une solution »
Notre premier entretien avec Chiara a lieu dans le courant du mois d’octobre 2018. Elle a 24 ans et fait ainsi partie des jeunes participants les plus âgés du projet PP2. Deux mois auparavant elle s’est rendue à BAB-VIA . Soutenue en parallèle par l’OFPC, elle connaissait la BAB depuis longtemps pour son offre de petits boulots.
J’ai fait une année d’ECG et puis après j’ai fait 2 ans d’école privée de cinéma. J’ai eu mon diplôme. Après, j’ai fait une année sabbatique où j’ai travaillé Et après, j’ai recommencé l’ECG mais le soir, j’ai arrêté. Après, j’ai cherché un apprentissage, j’ai toujours trouvé des places, mais de stage.
Sa première rencontre avec la travailleuse sociale permet de mettre rapidement en lumière son parcours scolaire non-linéaire qui ne lui a pas permis d’obtenir de certification.
Août 2018 : Première rencontre
Chiara n’a pas terminé sa scolarité, la dernière école c’est le cycle, elle a fait des stages dans la petite enfance, Elle devait commencer un CFC d’ASE, mais ça n’a pas abouti. Sa tentative de reprendre l’ECG pour adulte a été un échec. C’était une période difficile de sa vie.
Le but d’avoir pris mon indépendance, c’est d’éviter d’appeler ma mère quand même. Donc… c’est un peu difficile quand même. Parce que si je n’appelle pas ma mère, j’ai rien.. Mais oui, c’est difficile.
J’ai pas d’amis ! Si, mais je ne sors pas souvent, c’est rare. Pis je travaille beaucoup, donc j’ai pas trop le temps aussi.
Mon barème maximal c’est 1’300 francs par mois. Donc des fois c’est un peu difficile. Moi, ils ne prennent pas en compte mon loyer, je mets 1’000 francs, alors il ne me reste que 300 francs pour la fin du mois. Je fais mes courses peut-être deux fois et puis j’ai plus rien…
Cependant, l’entretien préalable à BAB-VIA ne se limite pas à la situation scolaire de Chiara. Elle parle facilement des difficultés liées à sa prise d’indépendance. Ce qui permet rapidement à la travailleuse sociale de saisir la situation globale de la jeune femme : peu entourée, son parcours professionnel émaillé d’emplois précaires et de stages ne lui a jamais permis d’équilibrer son budget et elle doit avoir recours à l’aide sociale
Chiara habite seule dans son logement. J’ai l’impression qu’elle est assez isolée, malgré le fait qu’elle puisse compter sur sa maman.
L’Hospice Général la soutient pour une aide financière, mais cela semble difficile pour elle d’accepter d’être à l’aide sociale
A BAB-VIA pour mener à bien son rêve: travailler dans l'éducation
Je suis tombée sur une école Montessori et c’est à ce moment-là vraiment où j’ai su ce que je voulais faire et que j’ai un objectif bien précis.
Comme la majorité des jeunes du projet PP2, et en particulier les plus âgés, Chiara a une idée très précise de ce qu’elle veut faire. Mais si, la plupart des jeunes de PP 2 souhaitent poursuivre dans le domaine socio-éducatif comme suite logique d’un parcours à l’école de Culture générale, le projet de Chiara et d’autant plus affirmé qu’il prend corps dans les stages qu’elle a effectué auparavant.
Elle sait ce qu’elle veut faire de son avenir, elle veut être ASE depuis longtemps dans le milieu de la petite enfance. C’est vraiment l’environnement qu’elle aime avec une philosophie pédagogique qui l’inspire, elle a été aussi en stage à l’école Montessori.
La travailleuse sociale m’a dit : « Moi, ce que je peux faire, c’est de te trouver un stage. Je peux pas faire plus, je ne peux pas te trouver un apprentissage ».
J’aimerais trouver un apprentissage et j’aimerais améliorer l’autosatisfaction personnelle, de réussir à être proactive sans qu’on me le demande…
Dès lors, pour l’équipe de PP2, l’enjeu de l’accompagnement à venir de Chiara ne se présente pas en termes d’orientation ni même de confrontation préalable de son projet. Il s’agit à l’inverse de permettre rapidement à la jeune femme de se mettre en activité pour expérimenter son choix.
L’accompagnement de PP2 se fonde sur la demande du jeune, même si le chemin pour parvenir au but promet d’être long et aléatoire. Ainsi la travailleuse sociale tente d’entrevoir la stratégie possible à terme qui se profile comme une voie étroite: pour travailler dans le socio-éducatif Chiara devra soit trouver un apprentissage, soit reprendre ses études à l’ECG, voire essayer de passer par une validation des acquis.
Ce stage lui permet de travailler sur le développement de son autonomie au niveau de sa structure (organisationnelle) de mieux gérer et mieux prioriser ses choix lors des activités ou journée d’école. Cette expérience lui donne aussi l’opportunité d’une ouverture sur la formation et/ou une validation des acquis.
C’est que c’est moi ma ressource. Je sais quand même que je suis quelqu’un d’assez consciente de ce qui se passe autour de moi (…) j’ai beaucoup d’attentes et j’ai un problème de confiance, j’ai peur du regard des autres, ça c’est quelque chose que quand on est adulte, on peut avoir mais qu’on arrive mieux à cacher je dirais.
C’est que tout le monde veut faire le même métier que moi ! Donc que moi, je veux faire le même métier que tout le monde.
Enquêtrice : Ok. Donc il y a beaucoup de demandes et peu de places ?
Chiara : Oui
Au-delà des projets de formation à venir, les échanges entre Chiara et sa travailleuse sociale ont permis de faire comprendre à cette dernière que dans tous les cas, Chiara doit avant tout pouvoir travailler sa confiance en elle.
Dès lors le stage se présente aussi comme un support bien réel concrètement accessible pour permettre l’expérimentation. Car, comme d’autres jeunes du projet PP 2, le manque de confiance qu’éprouve la jeune femme sur un plan personnel vient aussi d’une forme de découragement lié au contexte genevois actuel. En effet Chiara est très consciente de la difficulté de trouver réellement une place dans le domaine professionnel très concurrentiel qu’elle a choisi.
Elle a un grand manque de confiance, pas toujours une estime positive pourtant elle une attitude auprès des autres presque (trop) affirmée qui ne lui donne pas une image positive. C’est assez contradictoire avec son manque de confiance.
Elle a l’impression de faire plus que les autres au niveau du travail fourni (ce n’est pas forcément la réalité) elle n’arrive pas à exprimer cette frustration, elle reste discrète et ne veut pas déranger
Un stage qui n’efface pas les contraintes financières
En fait, BAB-VIA ce qu’ils ont fait, ça été une espèce de porte-parole entre mon stage et moi. Cela permettait de faire une mise au point sur la relation que j’entretenais avec les enfants, avec le travail en question. Avec les personnes, mes collègues et puis surtout dans quel domaine professionnel ça allait m’ouvrir des portes et si c’était vraiment ce que je voulais
A l’automne 2019, nous retrouvons Chiara pour un second entretien au cours duquel nous l’invitons à revenir sur le stage d’une année qu’elle a effectué dans un établissement éducatif pour enfants.
Chiara revient sur l’importance du rôle d’interface qu’a tenu sa travailleuse sociale entre sa position de stagiaire et le lieu de stage. A ce propos, le journal de la travailleuse sociale témoigne bien de son souci d’accompagner la jeune femme dans progression tout en veillant à ce que le lieu de stage lui aménage un espace d’apprentissage.
Le journal de la travailleuse sociale fait clairement état de l’attention portée au suivi des objectifs fixés liés à la confiance et à la capacité de Chiara de s’affirmer.
Cependant, dès le premier bilan, et au-delà même du déroulement du stage en tant que tel, la travailleuse sociale est amenée à reprendre en considération la situation globale de la jeune femme : les contraintes financières liées au maintien de son indépendance interfèrent avec son projet de formation.
Novembre : 2018 Bilan de stage
Le début de stage n’a pas été facile pour Chiara car il n’y avait pas beaucoup de structure dans les tâches qui lui étaient demandées, le format de sa participation était parfois flou
Le stage lui permet de travailler sur le développement de son autonomie au niveau de sa structure (organisationnelle) de mieux gérer et mieux prioriser ses choix lors des activités.
Chiara doit améliorer sa posture face aux enfants et sa manière de s’adresser à eux, le langage parfois trop familier surtout avec les grands, mettre bien les limites. Il est important qu’elle arrive à moins s’éparpiller , se fasse plus confiance et qu’elle n’hésite pas à poser des questions.
Financièrement le stage l’aide mais ne lui permet pas de sortir du barème de l’Hospice Général.
J’étais en réflexion, mais je savais que mon stage allait se terminer et donc… déjà l’année dernière j’avais trouvé, j’étais ludothécaire à 30 % parallèlement à mon stage. J’avais fait une demande de changement d’horaire que mon lieu de stage avait accepté. Donc du coup, j’étais déjà officiellement dans le monde du travail, en plus dans un domaine que j’aime bien. Sauf que 30 %, tu ne vis pas avec.
Pour BAB-VIA, il s’agit alors de trouver une solution pragmatique qui permette à la jeune femme trouver un emploi complémentaire tout en préservant la capacité de mener à bien son stage.
Cet emploi complémentaire dont les apports financiers sont bien modestes oblige Chiara à désormais jongler avec les horaires de son stage. Il représente pourtant quelque chose de symbolique aux yeux de la jeune femme. Elle qui, à 24 ans, n’a été que stagiaire est maintenant employée à part entière.
Janvier 19 : un contact téléphonique à la demande de Chiara
Contact téléphonique avec Chiara, elle a envoyé son dossier pour un poste dans un Ludothèque, elle aimerait que j’appuie sa demande. Ok je fais un mail en soutien à son offre. Quelques jours plus tard je reçois en retour que son dossier est retenu.
Elle aura un avantage financier grâce à cet emploi et c’est bien car elle a utilisé son réseau pour entreprendre cette démarche
A part ça, ce qui était chouette, c’est qu’en plus je pouvais la contacter sur WA donc on avait vraiment un lien… elle me disait à tout moment quand t’as un problème ou que tu as besoin de discuter, tu peux m’appeler. Donc c’était vraiment… je pouvais vraiment la contacter à tout moment s’il y avait quoi que ce soit, même en dehors du stage, en fait.
Et c’était vraiment un suivi complet, il y avait vraiment le suivi psychologique, administratif. Je pouvais lui poser toutes les questions que je voulais. Elle m’a dit, même si tu as un problème avec tes impôts ou n’importe quoi.
Ce qui était chouette aussi, ce qu’elle a fait, elle aussi, c’est qu’elle a cherché de son côté pour des validations d’acquis avec l’OFPC. Ce qu’on fait ensemble, c’est qu’on a compté mes expériences dans le domaine, pour voir si j’avais assez d’expérience pour faire une validation d’acquis. Ce que moi je n’aurais pas pu faire toute seule, par exemple. Elle elle l’a fait avec moi. Donc, j’ai apporté les papiers elle a calculé.
Cela a débouché sur le fait que j’ai pas assez d’années. … accumulé assez d’années et le bénévolat ça ne compte pas, parce que j’ai fait beaucoup de bénévolat. Donc voilà.
Dans le prolongement de la réactivité de BAB-VIA et de l’attention portée par la travailleuse sociale à sa situation financière, Chiara revient volontiers sur le sentiment qu’elle a été accompagnée de manière globale tout au long du stage. Elle relève la grande disponibilité de sa travailleuse sociale au-delà même des aspects liés au stage en tant que tel.
Le journal de la travailleuse sociale est d’ailleurs émaillé d’observations se rapportant à l’attention qu’elle a portée aux dynamiques relationnelles et au soutien à l’équilibre personnel de Chiara.
Pour autant, dans le dernier tiers du stage, la travailleuse sociale va peu à peu amener Chiara à la nécessité de se confronter concrètement à l’exploration des voies possibles pour mener à bien réellement le projet de formation qu’elle a choisi.
Pour Chiara, travailler dans le domaine socio-éducatif était un rêve, un rêve basé sur une expérience de stage, mais un rêve un peu évanescent en raison de son faible niveau de formation. Avec l’aide de BAB-VIA, la jeune femme va être amenée à rendre explicites les conditions nécessaires à un tel projet.
Cette confrontation avec la réalité va être dure. Pour la travailleuse sociale, il s’agit de faire prendre conscience à la jeune fille que la seule voie possible serait de reprendre des études du soir.
Mars 19 : un rendez-vous à la demande Chiara
Rdv avec Chiara, elle souhaitait me reparler du bilan de l’Ecole Active, elle a le sentiment de ne pas vraiment être intégrée dans l’équipe éducative depuis le début de son stage et que l’on ne lui laisse que peu de place.
On travaille et on échange sur la communication, sur l’attitude à avoir dans un tel contexte : comment se protéger sans tout prendre sur soi, comment se prémunir des autres.
On parle de la possibilité d’aller vers une validation d’acquis, elle est ok et va faire le nécessaire. Elle va aller à l’OFPC afin de récupérer un dossier de demande de validation avec les conditions d’admissions. On se revoit la semaine d’après afin de faire un décompte de ses activités.
Juin 19: rdv avec Chiara
Discussion autour de la suite de son projet. La validation des acquis n’est pas envisageable, elle devrait faire encore deux ans de stage afin de valider de la pratique. Cette option ne lui convient pas, financièrement ce n’est pas jouable. Le retour à l’école de culture générale pour adultes serait possible sous demande de dérogation (elle n’a pas réussi ses examens de première année, elle avait une chance de rattrapage qu’elle n’a malheureusement également pas réussi),
Donc, tout simplement le stage s’est terminé. Ma conseillère m’a dit : voilà est-ce que tu veux que je continue à t’aider à chercher un apprentissage ? Quels sont tes objectifs ? On a eu un entretien, on en a discuté. Et moi-même. J’ai pris la décision que j’arrêtais tout simplement de chercher un apprentissage, que tout simplement, j’ai 26 ans, enfin je vais avoir 26 ans, et les apprentissages se font de plus en plus rares, et puis les places se font de plus en plus rares. Et puis, en fait, ça fait quand même 5 ans et demi que je travaille dans le domaine du social, que ce soit en tant que bénévole, que ce soit en tant que… voilà ce qui se passe c’est que j’en ai eu marre
Cette mise à plat des exigences liées à son projet initial va amener Chiara à prendre d’elle-même une décision radicale : celle d’abandonner l’idée de reprendre une formation. Une décision quelque peu déroutante pour la travailleuse sociale qui se trouve alors dans une sorte de dilemme entre tenter d’encourager Chiara plus encore à changer d’avis et à poursuivre son projet de formation ou admettre le poids des difficultés liées à son parcours et à sa situation.
Elle hésite, c’est difficile de faire un choix, elle change souvent de direction. Elle veut aussi travailler, elle a besoin d’un job alimentaire. Elle a des capacités, mais le travail qu’elle doit déployer afin de reprendre une formation est pour elle (pour le moment) insurmontable, elle a encore des traumatismes de ces échecs scolaires passés.
Après PP2: la vie qui rattrape et la découverte des qualités d'un emploi de vendeuse
En fait, j’en ai eu trop trop marre et je pense que c’est la vie qui m’a rattrapée. Parce que ça fait un moment, ça fait 5 ans que j’ai mon appart. J’ai des factures à payer. Je n’ai pas énormément de personnes autour de moi qui peuvent m’aider financièrement. Je suis quelqu’un qui ne supporte pas d’être aidée par l’Etat. Il y a des gens ils le supportent très bien. Moi j’ai beaucoup de mal à donner des preuves tous les mois. C’est quelque chose que je n’arrive plus à faire. C’est une problématique que j’avais partagée avec ma travailleuse sociale de BAB-VIA en disant : voilà c’est quelque chose que j’ai vraiment envie d’enlever.
Si je fais mes études, ce sera positif, mais j’ai peur de l’échec parce que j’ai eu plusieurs fois l’échec scolaire. Et parallèlement, je me trouverai toujours dans la situation où je devrai être aidée financièrement. Parce que je me connais, je connaissais mes limites, je ne pouvais pas avoir 4 boulots et faire l’école du soir. C’était hors de questions pour moi d’en arriver -là.
Lors de ce second entretien Chiara paraît bien plus sereine que lors de notre première rencontre une année auparavant. Elle nous a donné rendez-vous dans un café proche de son nouveau lieu de travail. Elle a trouvé un emploi de vendeuse dans le domaine de la confection qu’elle apprécie et semble très affirmée à l’égard de la décision prise trois mois auparavant d’arrêter la recherche d’une formation.
Elle revient de manière très claire sur la difficulté d’envisager une formation hors de la temporalité dévolue aux études. A 25 ans, Chiara exprime avec beaucoup d’acuité la difficulté d’entreprendre des études lorsque, comme elle, on a pris son indépendance et que les liens familiaux ne peuvent permettre de subvenir aux besoins de base.
A Genève, en l’absence de bourses d’études similaires à celles du dispositif vaudois FORJAD, seul le recours à l’aide sociale est possible.
L’absence de dispositif de soutien financier à la reprise de formation doublée d’une ferme volonté de sortir de l’aide sociale ne laissait que peu de choix à Chiara, une seule et unique voie, en fait, celle d’effectuer une école du soir tout en travaillant. Une voie bien étroite quand on a comme Chiara un parcours scolaire parsemé d’échecs.
Je n’avais pas envie de reproduire les mêmes schémas que j’ai essayés auparavant et j’ai pris cette décision c’est vraiment d’arrêter complètement les études. Alors je ne dis pas pour la vie, mais c’est une décision momentanée et… que j’ai prise.
Donc BAB-VIA c’est… m’a pas vraiment aidée à prendre cette décision. Mais en me « poussant » à vouloir reprendre des études, ils m’ont quand même aidée à prendre cette décision, indirectement.
Le dernier bilan de la travailleuse sociale témoigne bien de toute cette ambiguïté. Il y a d’un côté les regrets que Chiara soit contrainte d’abandonner ses projets de formation, mais de l’autre toute la conscience des déterminismes qui pèsent sur sa situation et de son aspiration profonde à être autonome.
Cela représente sans doute l’axe principal qui a traversé l’accompagnement de Chiara par BAB-VIA. Les efforts entrepris de part et d’autre ont conduit Chiara à avancer, mais pas dans la direction prévue initialement.
C’est un peu dommage qu’elle laisse tomber ses projets de formation, elle ne se sent pas l’énergie de reprendre le milieu scolaire, beaucoup de blessures liées à ses échecs et difficultés passés. A 25 ans elle a besoin de stabilité et souhaite avoir comme elle dit : « un job, un appart, un copain une vie comme tout le monde et ne plus se stresser avec l’école sans avoir de thunes…. »
Je faisais une fixation sur les métiers du social et je me disais : si je travaille dans le social, c’est vraiment l’étiquette un peu que t’as dans la société : c’est bien. Et je faisais une fixation là-dessus et je ne peux pas faire autre chose que ça parce que je suis bonne dans ça et puis que c’est bien vu que d’être dans le social, et en fait non. Je suis sortie de cela et ça m’a fait beaucoup de bien parce que je me prends aussi moins la tête et pour moi ce qui compte ce n’est pas forcément le travail que tu fais, mais c’est les relations que tu entretiens avec les gens autour de toi.
On passe 80 à 90 % de son temps au travail. Pour moi c’est plus important d’être bien avec les gens avec qui je travaille. Et, en fait, en travaillant dans la vente, je n’aurais pas pensé, mais j’avais beaucoup de préjugés là-dessus. Je suis qu’avec une équipe de nanas, et on sait qu’un peu les nanas ça se fritte. Et pas du tout, je suis vraiment avec des gens hyper pédagogues, hyper à l’écoute. Et j’existe, en fait. J’ai une place importante, je suis égale à elles, je ne me sens pas moins importante qu’elles. J’ai des responsabilités et pour moi ça c’est important aussi. Le sentiment de se sentir exister. Ça, je ne l’avais pas avant en tant que stagiaire. Donc ça c’est quelque chose que j’ai acquis, pour moi et le fait d’avoir pris la décision de sortir de ça et la prise de décision elle est plus forte encore aujourd’hui et je me sens plus sereine et plus sûre de moi.
Si cette année de stage a permis à Chiara, de prendre réellement conscience des contraintes liées à sa situation et au prix à payer que constituait la reprise d’une formation, elle lui a aussi permis d’interroger ce qu’elle qualifie elle-même de « fixation sur les métiers du social ».
Des métiers du social qui représentaient à ces yeux l’idéal d’une position professionnelle reconnue socialement.
Ce retour, ces réflexions de Chiara constituent un moment-clé de l’entretien que nous avons avec elle. Chiara nous explique comment elle vient d’abandonner ses rêves de promotion sociale tout en paraissant soulagée, presque sereine. Elle qui dans le même temps exprime avec enthousiasme sa surprise d’avoir découvert les qualités d’un emploi de vendeuse.
Alors que la voie qui conduisait vers le social la contraignait d’occuper des places de stagiaire, ce nouvel emploi lui donne, selon elle, une véritable place, de responsabilités dans un environnement professionnel qu’elle juge bienveillant.
J’ai beaucoup plus de bienveillance envers moi-même et je suis un peu plus confiante sur mes choix de vie.
Socialement parlant, je me suis redécouvert des amis. Avant j’avais beaucoup de cercles d’amis, après j’ai eu ce moment où j’étais très seule et là c’est plus je vois des amis chacun de leur côté. Je suis moins isolée oui. Mais j’apprécie aussi beaucoup plus ma solitude. Avant, j’avais beaucoup de mal
La relation que j’ai avec les autres, en fait. C’est simple. Le fait que j’ai déjà acquis une confiance en moi, ça me permet d’avoir une ouverture sociale beaucoup plus… positive. C’est bête, mais il suffit qu’on s’aime un peu pour qu’on puisse « aimer les autres », ou accepter que les autres viennent à nous. Du coup, là forcément, j’ai une vie sociale tout ce qui a de plus, ce n’est pas le truc « wahow », je sors tous les week-ends, j’invite des gens chez moi, mais je suis en contact avec des gens que ce soit par téléphone, même des fois tu reçois juste un message, ça fait plaisir. Donc oui, je sais que je peux compter sur eux parce que j’ai des gens qui m’ont aidé à trouver du travail. J’ai des gens qui m’ont… qui m’écoutent en cas de problème et venir en pleine nuit si j’ai une crise d’angoisse. Enfin, je sais que je peux compter sur certaines personnes. Ça, j’ai vraiment vu la différence.
Entre la bienveillance témoignée par sa travailleuse sociale et la bienveillance de sa nouvelle équipe de travail, Chiara insiste sur la bienveillance retrouvée à l’égard d’elle-même. En revenant sur l’année écoulée, Chiara l’exprime sans détour : elle va mieux.
Dès lors, si pour elle l’objectif fixé avec BAB-VIA de reprendre une formation n’a été atteint, le renforcement de sa confiance en elle-même constitue selon elle le bénéfice majeur de ce cheminement et permet de remettre en mouvement sa vie sociale et de la construction d’affinités électives.
Ma situation financière est quand même assez vulnérable, elle est mieux, mais elle est vulnérable. Parce que je ne fais pas un métier où je gagne énormément et je suis vraiment juste juste en plus je suis sortie des barèmes de l’Hospice. Donc ça veut dire que j’ai plus d’aide de l’Hospice donc ça veut dire que c’est tout à mes frais, ma mère ne peut plus m’aider parce qu’elle a une situation compliquée en ce moment, enfin depuis quelques mois. Donc effectivement, voilà. C’est mieux, mais…
Parce que c’est pas encore complètement sûr que je garde mon emploi et pas sûr que j’ai encore les allocations qui vont suivre. C’est toujours… ça reste (fragile) fragile, voilà c’est le mot que je cherchais
Pourtant cette stabilité émotionnelle et sociale retrouvée ne gomme pas tout-à-fait encore la précarité de la situation financière de Chiara.
Il y a un truc que j’ai compris. Quand il y a des portes qui se ferment il y a d’autres qui s’ouvrent. Pour moi c’est un objectif que j’essaie de mettre en place tous les jours. Ce n’est pas forcément 100 % ce que tu veux, mais dans cette… cette atmosphère-là il y a peut-être d’autres portes qui vont s’ouvrir. Donc ne ferme pas complètement, ne désespère pas complètement. Donc c’est-à-dire que là, en tant que vendeuse, pourquoi pas, justement acquérir de l’expérience que ça m’ouvre des portes ou des formations, que hiérarchiquement peut-être que je grandisse. C’est un peu comme l’université populaire. Je ne me dis pas je me lève le matin, je vais aller travailler, je me dis je suis en formation, je vais me former, quoi : au travail… Un peu ce que nos parents faisaient et aujourd’hui ça ne suffit plus trop… Mais j’essaie de me le dire quand même. Je me dis ça existe encore, c’est possible. Ce n’est pas complètement fermé.
Septembre 2019
Contact avec Chiara Je reste à disposition pour elle en cas de besoin et je lui précise qu’elle peut compter sur BAB-VIA si elle souhaite quand même poursuivre son rêve, le chemin n’est pas si long, il y a des efforts à fournir mais qui ne sont pas insurmontables pour elle, elle a de bonnes capacités réflexives et bien d’autres encore.